- CHAPITRE 10
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lES FINANCES DE L'ÈRE NOUVELLE Introduction. Partie A: L'Île des Naufragés. Partie B: Considérations à partir de l'histoire
racontée. |
Introduction.
Avez-vous remarqué ce qui se passe dans notre société
quand il y a trop de marchandises dans les entrepôts? Les gens sont inquiets.
On parle de crise... La situation est tellement tendue que les producteurs
arrêtent de produire. Ils sont préoccupés. Ils s'aperçoivent que rien ne se
vend et que leur marchandise reste dans les magasins. Tout est paralysé. Au
lieu de parler de l'abondance comme d'une bénédiction, on parle de l'abondance
comme d'une malédiction. D'où vient cette situation étrange? D'un numéro
insuffisant de consommateurs? Non! Tous savent que devant les magasins bien
remplis il y a des milliers de gens qui voudraient acheter les marchandises qui
sont disponibles. Ils en auraient besoin. Pourquoi ne peuvent-ils pas acheter
ce qui a été produit pour être acheté,
pourquoi ne peuvent-ils pas “consommer” ce qui a été produit pour la
consommation? À quoi bon laisser que les entrepôts se remplissent de
marchandises que personne n'achète?
Ma réponse pourrait vous surprendre: “Cela dépend du système monétaire. Le système
monétaire actuel est gâté! Il s'agit d'une formule économique mort-née,
destinée à l'insuccès avant même d'être mise en application”.
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L'ABONDANCE: QUELLE CALAMITÉ ! |
L'argent est un symbole. Il représente les biens réels. Où se trouve la
vraie richesse? Dans l'argent ou dans les biens réels?
Vous me dites que la vraie richesse se trouve
dans les biens réels. Bon, si cela est vrai pour tous, pourquoi les gens ne se
préoccupent pas d'exiger de leurs dirigeants un système monétaire capable de
mettre en circulation des quantités d'argent qui reflètent les quantités des
biens réels et des produits qui sont disponibles?
À travers l'histoire qui suit, l'auteur nous montre
les lacunes graves du système financier actuel, et nous explique comment il
devrait être modifié pour convenir non seulement à quelques individus, mais à
tous les membres de la société humaine.
Après avoir écouté le récit qui fait suite, dans la
deuxième partie, qui est à la fin, nous chercherons à tirer les conclusions qui
s'imposent.
Partie A
L'île
des naufragés.
(Un récit de Louis Even).
#1. Sauvés du naufrage.
Une explosion avait détruit leur bateau. Chacun cherchait
à survivre. Chacun s'accrochait à la première pièce flottante qui lui tombait
sous la main. Un petit groupe de survivants s'est retrouvé sur une épave que
les vagues emportaient à leur gré. Pas de nouvelles des autres compagnons de
voyage.
Depuis de longues heures les rescapés scrutent l'horizon: quelque navire en
voyage les apercevrait-il? Leur radeau de fortune échouerait-il sur quelque
rivage hospitalier? Tout à coup un cri: Terre! Terre là-bas, voyez! C'est
justement dans la direction où nous poussent les vagues! Et à mesure que se
dessine la ligne d'un rivage, les figures s'épanouissent.
Ils sont cinq. Il y a François, le grand et vigoureux charpentier
qui a lancé le cri: Terre! Il y a Paul, qui est cultivateur; c'est celui
que vous voyez en avant, à gauche; il est à genoux, une main à terre et l'autre
accrochée au piquet de l'épave. Il y a Jacques, qui est un spécialiste
dans l'élevage des animaux; c'est l'homme au pantalon rayé qui, les genoux à
terre, regarde dans la direction indiquée. Il y a aussi Henri, agronome,
un peu corpulent; il est assis sur une valise échappée au naufrage. Enfin il y
a Thomas, prospecteur minéralogiste; c'est le gaillard qui se tient
debout en arrière, avec une main sur l'épaule du charpentier.
#2. Une île providentielle.
Remettre le pied sur une terre ferme, c'est pour nos hommes un retour à la
vie. Une fois séchés et réchauffés, leur première préoccupation est de faire
connaissance avec cette île éloignée. Ils la baptisent: L'Île des Naufragés.
Une rapide tournée comble leurs espoirs. L'île n'est pas un désert sans
ressources. Ils sont bien les seuls hommes à l'habiter actuellement, mais s'il
faut en juger par les restes de troupeaux demi-sauvages qu'ils ont rencontrés
ici et là, d'autres ont dû y vivre avant eux.
Jacques, l'éleveur, affirme qu'il pourra améliorer les animaux et en tirer
un bon rendement. Quant au sol de l'île, Paul le trouve en grande partie fort
propice à la culture. Henri a découvert des arbres fruitiers dont il espère
tirer profit. François y a remarqué surtout les grandes étendues forestières
riches en bois de toutes sortes: ce sera un jeu d'abattre des arbres et de
construire des abris pour la petite colonie. Quant à Thomas, le prospecteur, ce
qui l'intéresse c'est la partie la plus rocheuse de l'île. Il y a des signes
indiquant un sous-sol richement minéralisé. Malgré l'absence d'outils
perfectionnés, Thomas pense d'avoir assez d'initiative et de débrouillardise
pour transformer le minerai en métaux utiles. Chacun va donc pouvoir se livrer
à ses occupations favorites pour le bien de tous. Tous sont unanimes à louer la
Providence du dénouement assez heureux d'une si grande tragédie.
#3. Les véritables richesses.
Nos hommes sont à l'ouvrage. Le travail de chacun
produit ses fruits. Les premiers temps on s'est contenté de nourriture
primitive, mais par après les champs se sont mis à produire. Le laboureur a eu
des récoltes, et le charpentier a fait des maisons et des meubles.
A mesure que les saisons succèdent aux saisons le patrimoine de l'Île
augmente. On s'enrichit, mais pas avec du papier gravé ou de l'or, mais avec
des richesses véritables, des choses qui nourrissent, qui habillent, qui
logent, qui répondent à des besoins.
La vie n'est pas toujours aussi douce que nos hommes souhaiteraient. Il
leur manque certaines choses auxquelles ils étaient habitués dans la
civilisation, mais leur sort pourrait être beaucoup plus triste. Dans leur pays
d'origine ils ont d'ailleurs déjà connu des temps de crise. Ils se rappellent les
privations subies alors qu'à dix pas de leur porte les magasins étaient trop
pleins. Au moins ici, dans cette île, personne ne les condamne à voir pourrir
sous leurs yeux des choses dont ils ont besoin. Puis les taxes sont inconnues.
Les ventes par l'huissier ne sont pas à craindre. Si le travail est parfois
dur, au moins on a le droit de jouir des fruits du travail accompli. Somme
toute, on exploite l'île en bénissant Dieu, espérant qu'un jour on pourra
retrouver parents et amis, avec deux grands biens conservés: la vie et la
santé.
#4. Un inconvénient majeur.
Souvent nos hommes se réunissent pour
causer de leurs affaires. Dans le système économique qu'ils pratiquent, très
simplifié, une chose les taquine de plus en plus: ils n'ont aucune espèce de monnaie.
Le troc a ses inconvénients. C'est l'échange direct de produits contre
produits, et les produits à échanger ne sont pas toujours l'un en face de
l'autre en même temps.
Ainsi, le cultivateur qui paie presque tout sous forme de légumes, ne peut
rembourser les biens et les services qu'il reçoit en hiver que six mois plus
tard, quand la récolte des légumes se fait. Parfois c'est un gros article qui
vient d'être livré par l'un d'entre eux, et celui-ci voudrait en retour
différentes petites choses produites par les autres, à des époques différentes.
Tout cela complique les affaires. S'il y avait de l'argent en circulation
chacun vendrait ses produits aux autres pour de l'argent. Avec l'argent reçu il
pourrait acheter les choses qu'il veut, et quand il les veut, si elles sont
disponibles.
Tous s'entendent pour reconnaître la commodité que serait d'avoir un
système d'argent, mais personne ne sait comment en établir un. Ils ont appris à
produire la vraie richesse, les choses, mais ils ne savent pas faire les
signes, l'argent. Ils ignorent comment l'argent commence, comment le faire
commencer quand il n'y en a pas, et qu'ensemble on décide d'en avoir... Bien
des hommes instruits seraient sans doute aussi embarrassés. Tous nos
gouvernements l'ont bien été pendant les dix années qui ont précédé la deuxième
guerre mondiale. Seul l'argent manquait aux pays, et les gouvernements, aussi
bien le fédéral que les provinciaux, étaient paralysés devant ce problème.
#5. Un nouveau qui arrive.
Un soir que nos hommes, assis sur le rivage, ressassent
ce problème pour la centième fois, ils voient soudain une chaloupe qui
approche. Elle est conduite par un seul homme. On s'empresse d'aider le
nouveau. On lui offre les premiers soins, on cause. Il parle français, assez
bien. On apprend que c'est un Européen échappé lui aussi à un naufrage. Son nom
est Martin Golden.
Heureux d'avoir un compagnon de plus, nos cinq hommes lui font visiter la
colonie. Ils lui disent: “Bien que perdus loin du reste du monde, nous ne
sommes pas trop à plaindre. La terre rend bien, et la forêt aussi. Une seule
chose nous manque: nous n'avons pas de monnaie pour faciliter les échanges de
nos produits.”
Martin Golden s'exclame: “Bénissez le hasard qui m'amène ici. L'argent
n'a pas de mystère pour moi. Je suis un banquier, et en peu de temps je peux
vous installer un système monétaire qui vous donnera satisfaction.”
Un banquier? ... Un banquier!!! …
Un ange venu tout droit du ciel n'aurait pas inspiré plus
de révérence. N'est-on pas habitué, en pays civilisé, à s'incliner devant les
banquiers? N'est-ce pas les banquiers qui contrôlent les pulsations de la
finance d'un pays?
#6. Le dieu de la
civilisation.
– «Monsieur Martin, puisque vous êtes banquier,
vous ne travaillerez pas dans l'île. Vous allez seulement vous occuper de notre
argent.»
– «Comme tout banquier, je m'en
acquitterai avec la satisfaction de forger la prospérité commune.»
– «Monsieur Martin, on vous bâtira une demeure digne de vous. En attendant,
peut-on vous installer dans l'édifice qui sert à nos réunions publiques?»
– «Très bien, mes amis. Mais
commençons par décharger les effets de la chaloupe que j'ai pu sauver dans le
naufrage: une petite presse, du papier et accessoires, et surtout un petit
baril que vous traiterez avec grand soin.»
On décharge le tout. Le petit baril intrigue la curiosité de nos braves
gens.
– «Ce baril,
déclare Martin, c'est un trésor sans pareil. Il est plein d'or!»
Plein d'or! Cinq âmes faillirent s'échapper de cinq corps. Le dieu de la
civilisation entré dans l'Île des Naufragés. Le dieu jaune, toujours caché,
mais puissant, terrible, dont la présence, l'absence ou les moindres caprices
peuvent décider de la vie de 100 nations!
– «De l'or!
Monsieur Martin, vrai grand banquier! Recevez nos hommages et nos serments de
fidélité.»
– «De l'or pour tout un continent, mes
amis. Mais ce n'est pas de l'or qui va circuler. Il faut cacher l'or: l'or est
l'âme de tout argent sain. L'âme doit rester invisible. Je vous expliquerai
tout cela en vous passant de l'argent.»
#7. Un enterrement sans
témoins.
Avant de se séparer pour la nuit, Martin Golden pose aux
hommes une dernière question: «Combien vous faudrait-il d'argent dans l'île
pour commencer, pour que les échanges marchent bien?»
On se regarde. On consulte humblement Martin Golden lui-même. Avec les
suggestions du bienveillant banquier on convient que $200 pour chacun peuvent
suffire pour commencer. Un rendez-vous est fixé pour le lendemain soir. Les
hommes se retirent, échangent entre eux des réflexions émues, se couchent tard,
ne s'endorment que vers le matin après avoir longtemps rêvé d'or les yeux
ouverts. Martin Golden ne pense qu'à son avenir de banquier, et oublie sa
fatigue. Dès l'aube du jour suivant il creuse un trou dans le sol, il y roule
son baril, le couvre de terre, le dissimule sous des touffes d'herbe placées
soigneusement dans le but d'éliminer toute trace visible. Ensuite il met en
fonction sa petite presse, et imprime mille billets de un dollar. En voyant
sortir de sa presse les billets tout neufs il songe en lui-même: “Comme ils
sont faciles à faire, ces billets! Ils tirent leur valeur des produits qu'ils
vont servir à acheter. Sans produits, ces billets ne vaudraient rien. Mes cinq
clients naïfs ne pensent pas à cela. Ils croient que c'est l'or qui garantit
les piastres. Je les tiens par leur ignorance!”
#8. Distribution de l'argent
imprimé.
Le soir venu, les cinq hommes arrivent en courant auprès
de monsieur Golden. Cinq piles de billets sont là, sur la table. Le banquier
dit:
– «Avant de vous distribuer cet argent il faut
s'entendre. L'argent est basé sur l'or. L'or, placé dans la voûte de ma banque,
est à moi. Donc, l'argent est à moi... Oh! Ne soyez pas tristes ou trop préoccupés.
Je vais vous prêter cet argent et vous l'emploierez à votre gré. En attendant
je vous chargerai seulement un peu d'intérêt. Vu que l'argent est rare dans
l'île, puisque il n'y en a pas du tout, je crois être raisonnable en demandant
un petit intérêt de seulement 8 pour cent.»
– «En effet, monsieur Golden, vous êtes très généreux.»
– «Un dernier point,
mes amis. Même entre amis les affaires sont les affaires. Avant de toucher
l'argent chacun de vous va signer ce document: c'est l'engagement par chacun de
rembourser capital et intérêts sous peine de confiscation par moi de ses
propriétés. Oh! Une simple garantie. Je ne tiens pas à avoir vos propriétés.
L'argent me suffit. Je suis sûr que vous garderez vos biens et que vous me
rendrez l'argent.»
– «C'est plein de bon sens, monsieur Golden. Nous allons
redoubler d'ardeur au travail et tout rembourser.»
– «C'est bien cela. Et revenez me voir à chaque fois que vous
avez des problèmes. Le banquier est le meilleur ami de tout le monde...
Maintenant, voici à chacun ses deux cents dollars.»
Et nos cinq hommes s'en vont ravis, les piastres en main et la tête pleine
de projets.
#9. Un problème
d'arithmétique.
L'argent de Martin Golden a circulé
dans l'Île. Les échanges se sont multipliés en se simplifiant. Tout le monde se
réjouît et salue monsieur Golden avec respect et gratitude. Cependant le
prospecteur est inquiet. Ses produits sont encore sous terre et il n'a plus que
quelques piastres en poche. Comment rembourser le banquier à l'échéance qui vient?
Après s'être longtemps creusé la tête devant son problème individuel, Thomas
l'aborde socialement.
Il se dit: “Considérant toute la population de l'île, sommes-nous capables de tenir
nos engagements? Golden a imprimé une somme totale de $1000. Il nous demande un
total de $1080. Même si ensemble nous prenions tout l'argent de l'île pour le
lui porter, cela ferait 1000, pas 1080. Personne n'a fait les $80 de plus. Nous
faisons des choses, pas des piastres. Un jour monsieur Golden pourra saisir
toute l'île, parce que tous ensemble nous ne pouvons pas rembourser capital et
intérêts. Si ceux qui sont capables de rembourser remboursent pour eux-mêmes
sans se soucier des autres, quelques-uns vont tomber tout de suite, d'autres
vont tomber plus tard, mais le tour des autres viendra aussi, et le banquier
finira par tout saisir. Il vaut mieux s'unir tout de suite et régler cette
affaire socialement.”
Thomas n'a pas de peine à convaincre les autres que Golden les a dupés.
Alors on s'entend pour un rendez-vous général chez le banquier.
#10. Bienveillance du
banquier.
Martin devine leur état d'âme, mais il sourit et fait bon visage. C'est
François qui présente le cas. Il dit au banquier: “Comment pouvons-nous vous
apporter $1080 quand il n'y a que $1,000 dans toute l'île?”
– «Mes bons amis, il s'agit de l'intérêt! Est-ce que votre
production n'a pas augmenté?»
– «Oui, mais l'argent,
lui, n'a pas augmenté. Or, c'est justement de l'argent que vous réclamez, et
non pas des produits. Vous seul pouvez faire de l'argent. Or vous ne faites que
$1000 et vous demandez $1080. C'est impossible!»
– «Attendez, mes amis. Les banquiers s'adaptent toujours
aux circonstances; ils font cela pour le plus grand bien du public... Je ne vous
demande que l'intérêt. Rien que $80. Le capital, vous continuerez à le garder.»
– «Vous nous remettez notre dette?»
– «Non, jamais un
banquier ne remet une dette. Vous me devrez encore tout l'argent prêté, mais
chaque année vous me remettrez l'intérêt, seulement l'intérêt. Je ne vous
presserai pas pour le remboursement du capital. Si certains d'entre vous
deviennent incapables de payer même leur intérêt, parce que l'argent va de l'un
à l'autre, dans ce cas vous pouvez vous organiser en nation et convenir d'un
système de collection. On appelle cela taxer. Vous taxerez davantage ceux qui
auront plus d'argent, les autres moins. Pourvu que vous m'apportiez
collectivement le total de l'intérêt, je serai satisfait, et votre nation se
portera bien.»
Nos hommes se retirent, mi-calmés, mi-pensifs.
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